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14e colloque international de l'AIRDIF - Les concepts dans la recherche en  didactique du français : émergence et création d'un champ épistémique. |  LISEO – France Éducation international

Missions

Ce texte, rédigé en 1998, près de dix ans après la création de l'association, rend compte de ses orientations théoriques quand elle était encore centrée sur les problématiques de l’enseignement-apprentissage du français langue maternelle, conformément à son ancienne dénomination (DFLM). Si ce texte garde tout son intérêt aujourd'hui, il porte surtout témoignage de l'état de la réflexion à un moment donné de l'histoire de la didactique du français. Un nouveau texte d'orientation est en préparation, qui sera bientôt disponible.

La DFLM est une association qui travaille à la promotion et à la reconnaissance de la didactique[1] du français langue maternelle comme champ de recherche à part entière. Elle est aussi un lieu de débats, de confrontation des recherches et des options, à travers les diverses rencontres, journées d’études et colloques qu’elle organise ou qu’elle soutient.

Elle est encore un lieu d’information et de réflexion sur les recherches en didactique du français langue maternelle à travers sa revue bisannuelle, La lettre de la DFLM, son Annuaire des recherches en cours et les diverses publications qu’elle promeut ou qu’elle coordonne.

L’association DFLM s’emploie enfin à faire reconnaitre la didactique de la langue maternelle comme discipline essentielle dans la formation initiale et continuée des enseignants.

Les didactiques

Pour l’association DFLM, l’enseignement et l’apprentissage des différentes disciplines scolaires[2] peuvent et doivent être l’objet de recherches, de connaissances scientifiques, et non seulement de prises de position idéologiques.

La construction de ces connaissances relève de domaines de recherches spécifiques, les didactiques. Celles-ci ont pour objet l’étude raisonnée de tout ce qui touche à l’enseignement dans ses diverses composantes :

- les pratiques et démarches de la classe : procédures d’enseignement et d’apprentissage, interactions entre les différents acteurs de la classe ;

- les savoirs et les savoir-faire enseignés et appris, la manière dont ils sont élaborés ou élaborables, notamment par rapport aux savoirs savants et aux pratiques sociales, la manière dont les élèves se les approprient ;

- les discours et les représentations des agents sociaux dans les domaines concernés par l’enseignement et l’apprentissage ;

- les discours et les représentations des acteurs de l’enseignement (élèves, enseignants, directions, inspecteurs, parents…) ;

- les pratiques, les discours et les représentations qui déterminent les textes qui s’occupent d’organiser et/ou de penser le champ disciplinaire : instructions officielles, manuels et outils d’enseignement, revues et ouvrages didactiques ;

- la diversité sociale de cet enseignement, ses résultats, ses effets et leurs causes ;

- l’histoire et le fonctionnement institutionnel de l’enseignement des différentes disciplines…

Finalités

L’objectif des différentes didactiques est de développer les recherches nécessaires à une meilleure connaissance de leur objet. Ces recherches peuvent être :

- théoriques (élaboration de modèles explicatifs), descriptives (mise au jour ou analyse de discours ou de pratiques), expérimentales ou praxéologiques (élaboration de programmes, de projets, de séquences d’enseignement centrées sur des finalités prédéfinies),

- quantitatives ou qualitatives,

- générales (par exemple portant sur l’ensemble des pratiques de classe ou des savoirs enseignés dans une discipline) ou particulières (par exemple centrées sur une filière ou un niveau d’étude, ou sur un corpus limité de discours ou de pratiques),

- disciplinaires (centrées exclusivement sur les savoirs et les savoir-faire propres à une discipline) ou transdisciplinaires (orientées vers des savoirs et des savoir-faire transversaux, communs à différentes disciplines),

- historiques ou synchroniques,

- nationales ou internationales…

En particulier, les recherches en didactique ont pour finalité :

- de construire ou de transposer des savoirs et des méthodologies au service de l’enseignement et de l’apprentissage, en accordant une attention particulière aux savoirs et aux méthodologies qui permettent de combattre l’échec scolaire et social et de développer l’autonomie et le sens critique des apprenants ;

- de capitaliser les savoirs déjà acquis et les diffuser pour éclairer les prises de décision des différents acteurs : enseignants, formateurs, rédacteurs de manuels et ’instructions officielles, responsables politiques…

La didactique du français langue maternelle

L’enseignement du français présente un enjeu tout particulier au sein des disciplines scolaires dans la mesure où ses objets disciplinaires ont une fonction qui dépasse de loin la sphère du cours de français : la langue et la culture sont très largement partie prenante de la réussite de l’élève dans toutes les disciplines.

L’objectif général de l’enseignement du français est de transmettre et de faire construire un ensemble de savoirs et de savoir-faire sur le langage, la langue, la communication, les textes, la littérature, qui permettent à l’élève de mieux penser et s’exprimer et d’être un acteur social critique et créatif.

La didactique du français langue maternelle s’intéresse à l’enseignement du français dispensé dans des situations où le français est considéré comme la langue première de la majorité des élèves. Son public-cible la distingue donc de la didactique du français langue étrangère et seconde, avec laquelle elle entretient cependant des rapports étroits. Elle s’intéresse aussi bien aux apprentissages des jeunes en milieu scolaire (de la maternelle à l’université) qu’à la formation des adultes en milieu extra-scolaire. Pour des raisons institutionnelles, l’objet de la didactique du français langue maternelle est la discipline scolaire « français », mais elle s’attache aussi au français comme langue constitutive de toutes les disciplines : son champ intègre donc à la fois l’enseignement-apprentissage du français et l’enseignement-apprentissage en français[3].

La prise en compte de la complexité des objets de la didactique du français langue maternelle nécessite la convocation de savoirs construits dans différentes disciplines : les sciences du texte et de la littérature, les sciences du langage, la psychologie et les sciences de l’éducation, la sociologie, l’anthropologie et la philosophie. Pareille convocation peut conduire à une mise en question réciproque des disciplines en cause.

Une certaine conception des finalités de l’enseignement du français

L’association DFLM assigne trois objectifs spécifiques à l’enseignement du français. Pour elle, celui-ci doit aider l’élève à s’approprier des formes langagières, cognitives et culturelles qui lui permettront :

- de penser sa propre identité au départ du travail sur et avec le langage et la culture, et par là d’objectiver sa propre expérience, ses émotions, ses pensées, et de construire un point de vue particulier sur les discours, la littérature et le monde ;

- de construire et de développer ses capacités à communiquer, à se socialiser par la parole et l’écriture, à entendre, à comprendre le point de vue des autres, à faire partie d’une collectivité dotée d'un langage, d'une culture, d'une histoire, d'une mémoire, de valeurs partagées ou discutées, enfin à être capable d’en objectiver les valeurs, les significations, les variations ;

- de faire de son langage oral et écrit un instrument psychologique supérieur, un moyen de construire des savoirs et de développer des capacités cognitivo-langagières.

L’association a la conviction que les enseignements de la classe de français auront d’autant plus de chance de « prendre » et d’être « intériorisés » durablement qu’ils feront travailler ensemble ces trois dimensions.

Quelques problématiques considérées comme centrales par l’association

Au cours des douze ans d’existence de l’association DFLM, un certain nombre de problématiques centrales se sont cristallisées, que l’association a d’ailleurs contribué à faire émerger, à préciser et à travailler à travers ses congrès, colloques et journées d’études. Sans être exhaustives, ces problématiques semblent correspondre à des préoccupations qui traversent les nombreux champs d’études des chercheurs en didactique du français langue maternelle.

    Mettant en cause le carcan étroit des genres scolaires abordés dans l’enseignement du français, de nombreuses recherches ont exploré la possibilité et les effets du travail sur des types ou des genres de textes plus proches des pratiques sociales et culturelles extrascolaires. Sur la base du postulat, communément accepté, de la nécessité de diversifier les écrits – postulat qui découle de la finalité générale assignée à l’enseignement du français depuis les années 1960, à savoir de développer les capacités de communication –, de nombreuses questions de recherches sont actuellement ouvertes dans ce contexte : quels genres faut-il travailler à l’école ? Comment construire des progressions à travers la diversification des genres ? Quel est le rapport entre les pratiques langagières sociales et les pratiques scolaires (problème de la transposition) ?

    Gérer la diversité des publics du cours de français requiert, d’une part, un enseignement différencié, qui adapte les dispositifs  didactiques aux différentes réalités sociales et culturelles, et, d’autre part, la transmission ou la construction de référents communs à tous pour permettre à chacun de se mouvoir dans l’univers de l’écrit et les productions culturelles contemporaines. Mais quelles sont les réalités sociales et culturelles dont il faut tenir compte ? Quelles formes de différenciation choisir, pour quels publics ? Quels sont les référents minimaux permettant à tous de construire de nouvelles capacités ?

    Par-delà la nécessaire transmission de certaines normes langagières et de certains standards culturels, il parait plus pertinent d’enseigner la langue et la littérature, la lecture, l’écriture, l’écoute et la parole comme des espaces de variations, donnant lieu à des usages divers, que de chercher à imposer une image unique de ces domaines de connaissance. Il s’agit toutefois de poursuivre la réflexion sur les savoirs enseignés. Tous se valent-ils ? Y a-t-il dans la discipline des savoirs clés ?

    Les démarches d’enseignement-apprentissage de l’écriture, de la lecture et de l’oralité les plus efficaces sont celles qui mettent les élèves en activité, celles qui leur permettent de s’approprier personnellement les savoirs, celles qui s’inscrivent dans un projet qui leur donne sens, celles qui prennent le plus en compte les pratiques socioculturelles extrascolaires et celles qui établissent un va-et-vient entre les savoirs, les savoir-faire et les pratiques institués (posés comme nécessaires par la collectivité) et les savoirs, savoir-faire et pratiques « déjà-là », qui se sont constitués socialement et scolairement. Néanmoins, l’activité d’apprentissage des élèves se situe toujours dans un espace qui ne peut que partiellement faire sens pour l’élève, étant donné que celui-ci ne maitrise que partiellement les situations qui fassent suffisamment sens tout en impliquant un certain dépaysement des élèves. Quels outils proposer, et sous quelles formes, pour soutenir l’élève dans son effort d’apprentissage ? Quelles interactions sociales instaurer dans l’espace de la classe (enseignant-élèves, élèves-élèves) à propos des objets d’enseignement-apprentissage ? En outre, comment réduire les distances culturelles qui existent entre un nombre important d’élèves et le monde de l’écrit ? Dans quelles conditions peut-on mettre en œuvre des médiations culturelles permettant à ces élèves de se familiariser progressivement avec les objets, les lieux, le langage et les concepts de cet univers, et quels effets de telles médiations produisent-elles ? Comment enfin se construit le « déjà-là », le rapport au langage et à la culture qui pilote les comportements et les apprentissages dans la classe de français ?

    Bien que, dans la plupart des programmes, les différents domaines actuellement constitutifs de l’enseignement de la langue maternelle (lire, écrire, parler, écouter, analyser la langue) apparaissent comme séparés les uns des autres, les modèles didactiques montrent de plus en plus l’intérêt de dépasser ces clivages en favorisant l’interaction entre les différents domaines. Mais quelles interactions existent entre lecture et écriture ? Entre écoute et parole ? Entre oral et écrit ? Comment ces interactions varient-elles en fonction des situations de communication et des genres ? Comment se construisent les capacités des élèves dans ces différents domaines ? Quelles interactions instituer en classe ?

    S’il a longtemps été contesté parce qu’il était le lieu de pratiques impressionnistes ignorantes de leurs présupposés épistémologiques et idéologues, l’enseignement-apprentissage de la littérature connait aujourd’hui un fort regain d’intérêt (le nombre de recherches le concernant a doublé entre 1985 et 1993) et se voit réinterrogé sur ses finalités, ses corpus et ses démarches. Constatant la tension qui existe entre, d’une part, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en tant que pratiques sociales s’appliquant aux supports les plus divers et, d’autre part, la connaissance de la littérature en tant que corpus et/ou ensemble de modes d’écriture et de lecture situés dans une histoire et des institutions, les chercheurs de l’association sont partagés sur le traitement didactique à réserver à cette tension : les spécificités du fait littéraire justifient-elles une autonomisation plus radicale de son champ, ou bien plutôt un va-et-vient dialectique entre les démarches centrées sur l’appropriation du fait littéraire et celles qui privilégient le développement de la lecture et de l’écriture ? Plus largement, quels concepts-cadres, quelles pratiques, quels corpus, quelles progressions et quels modes d’évaluation retenir pour développer durablement la lecture et l’écriture, littéraires ou non, des élèves, mais aussi une compréhension des enjeux particuliers et de la dynamique de la littérature ? En amont, comment décrire et évaluer les pratiques et les effets de l’enseignement actuel de la lecture et de la littérature ?

    L’apprentissage de techniques culturelles complexes comme la lecture, l’écriture ou la parole dans des situations formelles implique un haut degré de conscience de ses propres processus psychiques. Ceci pose le problème du rôle des activités métalangagières en classe facilitant la prise de conscience : quelles activités métalangagières mener, à quel moment et sous quelle forme ? Quel est le rapport entre les activités métalangagière et les activités langagières ? Quel statut donner à des activités comme l’analyse grammaticale ou l’analyse littéraire ?

Ces quelques problématiques, esquissées à titre d’exemples, ont déjà fait l’objet d’un travail particulier dans la communauté scientifique animée par l’association DFLM. Les questions qu’elles posent sont loin d’être résolues et elles continuent à faire l’objet de controverses alimentées par de nombreuses recherches, relevant principalement de la recherche-action. Ces recherches sont précieuses et apportent de nombreux éléments pour faire avancer la réflexion. La composante praxéologique et les considérations pédagogiques générales y restent cependant prépondérantes : il convient aujourd’hui d’élargir les données, d’accentuer le contrôle des facteurs en jeu et d’affiner les cadres conceptuels de manière à favoriser davantage la capitalisation des connaissances et l’administration de la preuve.

Corollairement, il parait nécessaire de promouvoir des ensembles de recherches plus dégagés des questions d’action et d’intervention didactique pour mieux connaitre la réalité des pratiques actuelles d’enseignement, pour mieux élucider leur histoire et pour mieux comprendre leur fonctionnement et leur (in-)efficacité. Les domaines de recherches suivants, encore peu explorés, paraissent à cet égard prioritaires :

- Recherches sur les pratiques d’enseignement, plus particulièrement les modes d’élaboration d’objets d’enseignement-apprentissage dans les interactions en classe ;

- À travers des observations transversales et longitudinales, recherches sur les capacités des élèves dans les différents domaines de l’enseignement du français pour comprendre la logique de leur construction et la transformation des rapports au savoir en fonction des données scolaires[4] ;

 - Recherches sur la constitution des objets d’enseignement dans une perspective historique[5].

Il reste également  à formaliser la diversité des pratiques pédagogiques et à se doter d’instruments d’observation pour en comprendre les réussites et les échecs, et, en amont, à se pencher sur l’articulation des différentes recherches avec la formation initiale et continue des maitres.

Notes


Ce texte a été composé par Jean-Louis Dufays au départ de suggestions d’Elisabeth Bautier, Philippe Blanchet, Dominique Bucheton, Suzanne Chartrand, Jean-Louis Chiss, Michel Dabène, Jacques David, Georges Legros, Marie-Christine Paret, Marie-Anne Paveau, Yves Reuter, Jean-Maurice Rosier, Bernard Schneuwly, Jean-Pascal Simon et Martine Wirthner.

Il applique les recommandations orthographiques du Conseil supérieur de la langue française.


 [1] « Didactique » doit être entendu au sens moderne d’élaboration de savoirs critiques sur l’enseignement-apprentissage d’une discipline scolaire (par opposition au sens classique d’enseignement de cette discipline).

[2] Ce terme doit être considéré au sens large : la didactique du français langue maternelle s’intéresse à tous les niveaux et à toutes les formes de l’enseignement, depuis la maternelle jusqu’à l’enseignement aux adultes. Les problématiques de l’orthophonie et de la logopédie intéressent également son champ.

[3] L’expression « enseignement-apprentissage » suggère que les activités d’enseignement et d’apprentissage sont pensées en relation étroite les unes avec les autres.

[4] Voir à ce propos les travaux sur l’évaluation de la lecture initiés, entre autres, par l’association.

[5] Voir les travaux sur la littérature suscités dans cette perspective par l’association

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